La Venise Verte : Une immersion dans l’écotourisme au cœur des marais
Je dois vous faire un aveu : jusqu’à il y a quelques mois, je n’avais jamais entendu parler de la « Venise Verte ». C’est lors d’un dîner chez des amis que Claire, une amie d’enfance, a évoqué ce lieu avec des yeux brillants. « Tu n’y es jamais allé ? Mais Louis, c’est incroyable, des canaux à perte de vue, des barques, un silence… tu adorerais ! » Sur le moment, j’ai hoché la tête poliment, mais intérieurement, j’étais sceptique. Une Venise française ? Vraiment ? Ça sonnait comme un de ces attrape-touristes dont les offices de tourisme ont le secret.
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Pourtant, l’idée a fait son chemin. Je venais justement de terminer un article sur l’écotourisme et je cherchais un endroit en France pour mettre en pratique mes belles théories. Alors pourquoi pas ce fameux Marais Poitevin ? J’ai commencé à faire quelques recherches, sans grande conviction. Et puis, de fil en aiguille, je me suis retrouvé à réserver trois jours dans ce coin entre Niort et La Rochelle, avec mon sac à dos et mon appareil photo.
Ce que j’ai découvert là-bas a dépassé mes attentes, tout en les contredisant complètement. Non, ce n’était pas une Venise bis. C’était bien autre chose. Un voyage qui m’a fait réfléchir à ce que signifie réellement être un touriste responsable. Parce que franchement, c’est facile de se dire écolo quand on reste chez soi, mais c’est une autre paire de manches quand on se retrouve face à un écosystème aussi fragile que séduisant.
Découvrir la Venise Verte : Un paysage qui déroute les sens
Premier choc : le silence. Je m’étais garé à Coulon, considéré comme la « capitale » de la Venise Verte (déjà, ça commençait mal pour mon scepticisme), et j’avais décidé de marcher un peu avant de me lancer sur les canaux. Et là, à peine sorti du village, ce silence. Pas un silence total – il y avait le bruissement des feuilles, le clapotis de l’eau, des chants d’oiseaux que je serais bien incapable d’identifier – mais une absence de bruit humain qui m’a saisi.
Le deuxième choc, c’est visuel. Imaginez 40 000 hectares de labyrinthes aquatiques, où l’eau et la terre s’entremêlent sans qu’on sache vraiment où commence l’une et où finit l’autre. Des canaux, appelés « conches » par les locaux (j’ai appris ça plus tard d’un batelier à la langue bien pendue), qui serpentent entre des prairies humides et des rangées de peupliers et de frênes têtards. Ces arbres, d’ailleurs, ont une silhouette bizarre, comme s’ils avaient été coiffés par un jardinier fou – en fait, ils sont taillés régulièrement pour produire du bois, une pratique ancestrale qui a façonné ce paysage.
L’eau est partout, mais pas comme à Venise. Elle est plus… comment dire… discrète. Parfois d’un vert profond qui reflète la canopée, parfois presque noire, presque inquiétante. Je me souviens avoir pensé : « C’est beau, mais c’est un peu flippant aussi. » Et puis cette odeur ! Un mélange de végétation humide, d’humus, de vase. Pas désagréable, juste… sauvage.
Les villages : entre authenticité et carte postale trop léchée
Coulon, où j’ai commencé mon périple, est indéniablement charmant avec ses maisons blanches aux volets colorés et son petit port où s’alignent les barques traditionnelles à fond plat. Mais – et c’est là que je vais peut-être me faire des ennemis – c’est aussi un peu trop « propre sur soi » à mon goût. En plein mois de juin, les terrasses des restaurants débordaient de touristes (moi y compris, je ne me voile pas la face), et j’ai eu cette impression désagréable d’être dans un décor de cinéma.
J’ai préféré Arçais, visité le lendemain, moins connu et plus authentique. J’y ai croisé un vieil homme qui réparait sa barque devant sa maison. Il m’a regardé passer sans un mot, et bizarrement, ce regard un peu méfiant m’a semblé plus vrai que les sourires commerciaux de certains commerçants de Coulon.
À La Garette, petit hameau que j’ai découvert par hasard en me perdant (une habitude chez moi), j’ai été charmé par les ruelles étroites et les ponts de pierre. J’ai déjeuné dans une minuscule auberge où la patronne m’a servi une terrine de poisson « comme on n’en fait plus ». Elle avait raison.
Mais le moment qui m’a le plus marqué, c’est sans doute cette balade en barque que j’ai faite à partir du village de Maillé. J’avais loué une embarcation pour deux heures – et comme je suis un génie de la navigation, j’ai failli renverser tout mon matériel photo dans l’eau en essayant de manœuvrer avec la pigouille (cette longue perche utilisée pour propulser les barques). Le batelier d’à côté a éclaté de rire et est venu à mon secours. « C’est pas grave, m’sieur, ça arrive même aux maraîchins ! » J’ai appris ce jour-là que les habitants du marais s’appellent les maraîchins. Et que je ne serai jamais l’un d’entre eux, vu mes talents de navigation.
Une fois le coup de perche maîtrisé (plus ou moins), j’ai glissé sous des tunnels de verdure, dans un silence presque religieux. Par moments, la lumière filtrait à travers la canopée, créant des jeux d’ombre et de lumière sur l’eau sombre. J’ai croisé un héron cendré qui m’a toisé avec dédain avant de s’envoler majestueusement. C’était magique… jusqu’à ce que j’entende le moteur d’une barque touristique collective qui approchait. Le charme a été un peu rompu, je dois l’avouer.

L’écotourisme dans le Marais : Entre bonnes intentions et réalité complexe
Je me suis toujours considéré comme un voyageur plutôt responsable. Je trie mes déchets, j’essaie de prendre le train quand c’est possible, je respecte les lieux que je visite. Mais dans le Marais Poitevin, j’ai été confronté à mes propres contradictions. Parce que l’écotourisme, ce n’est pas juste mettre ses papiers à la poubelle – c’est toute une philosophie de voyage.
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Le Marais Poitevin est labellisé « Grand Site de France » et « Parc Naturel Régional ». Des distinctions qui supposent une protection particulière et une gestion durable du tourisme. Et il faut reconnaître que des efforts sont faits : les embarcations à moteur sont limitées, des sentiers balisés permettent de découvrir la région à pied ou à vélo sans piétiner la flore, et la plupart des hébergements mettent en avant leurs démarches écologiques.
J’ai d’ailleurs séjourné dans une chambre d’hôtes écolabellisée à Saint-Hilaire-la-Palud. Le propriétaire, Mathieu, était intarissable sur sa phytoépuration, ses panneaux solaires et son potager bio qui fournissait une partie du petit-déjeuner. J’étais impressionné… jusqu’à ce que je remarque la piscine dans le jardin. Quand je lui ai demandé, un peu naïvement, si c’était bien compatible avec sa démarche écologique, il a eu un sourire gêné : « Les clients la demandent, et si je ne la propose pas, ils vont ailleurs. »
Cette phrase m’a fait réfléchir. Nous, touristes, sommes souvent les premiers à applaudir les initiatives vertes, mais sommes-nous prêts à renoncer à notre confort pour être cohérents ?
Les initiatives vertes qui m’ont marqué (et celles qui m’ont fait tiquer)
Le deuxième jour, j’ai participé à une visite guidée organisée par le Parc Naturel. Notre guide, Sylvie, était une passionnée de botanique qui nous a fait découvrir la richesse floristique du marais. Elle connaissait le nom de chaque plante, chaque insecte, et expliquait avec enthousiasme le rôle de chacun dans l’écosystème. J’ai appris que le marais est un refuge pour des espèces rares comme la rosalie des Alpes (un magnifique coléoptère bleuté) ou la fritillaire pintade (une fleur en forme de clochette tachetée).
Sylvie nous a aussi parlé des menaces qui pèsent sur le marais : l’agriculture intensive aux alentours qui pollue l’eau, l’urbanisation qui grignote les zones humides, et… le tourisme mal maîtrisé. « Chaque année, nous recevons environ 600 000 visiteurs. C’est une manne économique pour la région, mais aussi un défi écologique énorme. »
Ce qui m’a frappé, c’est qu’en disant cela, elle nous regardait droit dans les yeux, nous, le petit groupe de dix touristes bien intentionnés. Et j’ai ressenti ce malaise familier : je fais partie du problème. Même avec mes bonnes intentions, ma présence ici a un impact.
Plus tard dans la journée, j’ai loué un vélo électrique pour explorer les alentours. Une bonne initiative en soi – pas de pollution, pas de bruit. Sauf que… la batterie de ces vélos pose question. Et les stations de recharge sont-elles alimentées en énergie verte ? Je n’ai pas osé demander.
J’ai aussi remarqué des poubelles qui débordaient près d’une aire de pique-nique populaire, et des mégots de cigarettes le long d’un sentier pourtant classé « espace naturel sensible ». Pas très cohérent avec l’image d’écotourisme vanté dans les brochures.
Ce qui m’a le plus dérangé, c’est peut-être cette boutique de souvenirs à Coulon qui vendait des miniatures de barques traditionnelles… fabriquées en Chine. À côté, heureusement, un artisan proposait de véritables créations locales en bois de frêne – trois fois plus chères, certes, mais authentiques. J’ai craqué pour un petit porte-clés sculpté à la main, même si mon porte-monnaie a grimacé.
Les défis de voyager léger dans un marais fragile
Voyager de manière écologique dans le Marais Poitevin, ça demande un peu d’organisation. Premier défi : s’y rendre. J’ai opté pour le train jusqu’à Niort, puis j’ai loué une voiture (pas très écolo, je sais, mais les transports en commun dans la région sont… disons… perfectibles). Une fois sur place, j’ai laissé la voiture au parking et privilégié la marche, le vélo et bien sûr la barque.
Mais ce n’est pas toujours simple. Un exemple : j’avais repéré une réserve ornithologique à quelques kilomètres de mon hébergement. Sur la carte, le chemin semblait évident. Dans la réalité, je me suis retrouvé face à un sentier non balisé qui disparaissait dans une prairie humide. J’ai tenté l’aventure, convaincu d’être sur la bonne voie. Vingt minutes plus tard, j’étais perdu, les chaussures pleines de boue, et j’avais dérangé un groupe de canards qui m’ont fait comprendre leur mécontentement par des coin-coin indignés.
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J’ai fini par rebrousser chemin, un peu penaud. Plus tard, j’ai appris que le sentier avait été temporairement fermé pour protéger une espèce d’oiseau en période de nidification. L’information était disponible… sur un site web que je n’avais pas consulté. Leçon apprise : se renseigner plus précisément avant de partir à l’aventure.
Autre défi : les moustiques. Mon Dieu, les moustiques ! J’avais emporté un répulsif « naturel » à base d’huiles essentielles, très fier de mon choix écologique. Après une soirée à me faire dévorer vivant sur la terrasse de ma chambre d’hôtes, j’ai cédé et acheté un spray chimique à l’épicerie du village. Je ne suis pas très fier de ce moment de faiblesse, mais mes bras ressemblaient à une carte en relief et je commençais à craindre de finir par donner tout mon sang à la faune locale.
La météo est aussi un facteur à prendre en compte. J’ai eu la chance d’avoir trois jours de beau temps, mais j’imagine que sous la pluie, l’expérience est différente. Les sentiers deviennent boueux, les balades en barque moins agréables… et les alternatives d’activités « indoor » ne sont pas légion dans la région.
Enfin, il y a la question de l’alimentation. J’essaie généralement de privilégier les produits locaux quand je voyage, et le Marais Poitevin offre de belles opportunités avec ses fromages de chèvre, ses anguilles (pour les amateurs, ce n’est pas mon cas) et ses légumes maraîchers. Mais dans certains restaurants touristiques, j’ai été déçu de trouver des menus standardisés qui n’avaient rien de local. J’ai fini par demander conseil à Mathieu, mon hôte, qui m’a orienté vers un petit marché fermier où j’ai pu acheter de quoi me faire un pique-nique 100% local. Ce jour-là, assis au bord d’un canal avec mon sandwich au chabichou (un délicieux fromage de chèvre local) et mes tomates fraîchement cueillies, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé le bon équilibre.
Les rencontres qui font le voyage : Les gens du marais
Ce qui reste gravé dans ma mémoire, plus que les paysages ou même les galères, ce sont les rencontres. Comme celle avec Pierre, un batelier de 67 ans qui propose des balades commentées depuis plus de quarante ans. J’avais réservé une sortie individuelle, un peu plus chère mais qui me permettait d’échanger plus librement.
Pierre n’est pas du genre à réciter un texte appris par cœur. Il parle du marais comme on parle d’un vieil ami, avec tendresse et exaspération mêlées. « Vous voyez ce canal là-bas ? Avant, il était deux fois plus large. Mais l’envasement… et puis l’administration qui ne fait rien… enfin, c’est comme ça. » J’ai senti dans sa voix à la fois l’amour de son territoire et une certaine résignation face aux changements.
Il m’a raconté comment le marais a évolué depuis son enfance, quand il accompagnait son père qui était maraîcher. « À l’époque, le tourisme, c’était pas comme maintenant. Y’avait quelques visiteurs l’été, des gens du coin surtout. Maintenant, c’est devenu notre gagne-pain principal. » Quand je lui ai demandé si c’était une bonne chose, il a haussé les épaules : « Faut bien vivre. Mais parfois, je regrette le temps où on pouvait naviguer sans croiser personne pendant des heures. »
Cette ambivalence, je l’ai retrouvée chez d’autres habitants. Comme cette dame d’une soixantaine d’années qui tenait une petite échoppe d’artisanat à Arçais. Elle créait de magnifiques objets en roseau tressé, une technique traditionnelle du marais. Quand je l’ai complimentée sur son travail, elle m’a confié : « Les touristes aiment bien, mais c’est de plus en plus dur de vivre de ça. Les jeunes préfèrent acheter des souvenirs pas chers. » Puis, avec un sourire malicieux : « Mais sans les touristes, à qui je vendrais mes paniers ? »
J’ai aussi bavardé avec Lucas, un jeune guide nature d’à peine 25 ans, croisé lors d’une pause café à La Garette. Contrairement à Pierre, il voyait le tourisme comme une opportunité. « C’est grâce aux visiteurs qu’on peut sensibiliser à la protection du marais. Et puis, ça crée des emplois pour les jeunes comme moi qui veulent rester vivre ici. » Son enthousiasme était communicatif, et j’ai presque regretté de ne pas avoir réservé une sortie avec lui.
Ces rencontres m’ont rappelé que derrière les débats sur l’écotourisme, il y a des réalités humaines complexes. Des vies qui dépendent du tourisme tout en étant parfois menacées par lui. Des traditions qui survivent grâce à l’intérêt des visiteurs, mais qui risquent aussi d’être dénaturées pour leur plaire.
La conversation qui m’a le plus marqué, c’est peut-être celle avec Martine, qui tenait la chambre d’hôtes voisine de la mienne. Un soir, nous avons partagé un verre de pineau des Charentes sur sa terrasse. Elle m’a confié qu’elle était « une étrangère » – comprendre qu’elle n’était pas née dans le marais mais s’y était installée il y a quinze ans, tombée amoureuse de la région lors d’un voyage. « Au début, les gens d’ici me regardaient un peu de travers. Maintenant, ça va mieux, mais je reste ‘la Parisienne’, même si je n’ai jamais vécu à Paris ! »
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Son regard sur le tourisme était nuancé : « On ne peut pas accueillir tout le monde, le marais ne le supporterait pas. Mais on ne peut pas non plus mettre le marais sous cloche. Il a toujours été un lieu de vie et de travail, pas un musée. »
Mon bilan : La Venise Verte, un amour compliqué
Après trois jours dans le Marais Poitevin, je suis reparti avec des sentiments mélangés. Émerveillé par la beauté des lieux, touché par l’accueil des habitants, mais aussi un peu troublé par mes propres contradictions.
Parce que oui, je suis venu chercher une nature préservée, une expérience « authentique », tout en sachant pertinemment que ma présence même contribue à transformer ce que je suis venu voir. C’est le paradoxe de tout voyageur, mais il m’est apparu plus clairement dans ce lieu fragile.
L’écotourisme dans la Venise Verte, c’est un peu comme une histoire d’amour compliquée : on sait que ce n’est pas parfait, qu’il y a des compromis, des moments de doute, mais on y croit quand même. On veut y croire.
Je repense à cette balade en barque solitaire, quand j’ai coupé le moteur de mon smartphone pour m’immerger complètement dans le silence du marais. Pendant une heure, j’ai juste été là, présent, attentif aux bruissements de la nature, aux reflets changeants sur l’eau. Un héron est passé, majestueux. Une libellule s’est posée un instant sur mon genou. Et j’ai ressenti cette connexion simple mais profonde avec un lieu, cette sensation d’être un invité privilégié dans un monde qui existait bien avant moi et continuera bien après.
C’est peut-être ça, finalement, l’écotourisme réussi : non pas l’illusion d’un voyage sans impact, mais une présence consciente, respectueuse, qui accepte sa propre imperfection tout en cherchant à faire mieux.
Si vous envisagez de visiter la Venise Verte, je vous y encourage – c’est un lieu qui mérite d’être découvert. Mais je vous invite aussi à y aller avec cette conscience, cette humilité face à la fragilité des lieux. Prenez le temps de rencontrer les habitants, de comprendre leur rapport au marais. Privilégiez les petites structures, les artisans locaux, les guides passionnés.
Et surtout, acceptez de vous perdre – littéralement et figurativement. Laissez de côté vos certitudes, vos attentes. Le marais a cette capacité étonnante à nous ramener à l’essentiel, à nous rappeler que nous ne sommes que de passage.
Ce matin-là, à l’aube, quand j’ai pris ma dernière photo du marais enveloppé dans une brume légère, j’ai ressenti une pointe de mélancolie à l’idée de partir. Mais aussi une certaine sérénité. La Venise Verte m’avait offert bien plus qu’un joli paysage – elle m’avait donné une leçon d’humilité et de complexité. Une leçon que j’espère garder en tête lors de mes prochains voyages.
Et vous, êtes-vous déjà allés dans un lieu qui vous a fait repenser votre façon de voyager ?
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